Passion hivernale | Brownell

Petite histoire (de l'art) par Sarah Mainguy, détentrice d'une maîtrise en histoire de l'art de l'UQAM.
19 février 2016

La collection d’œuvres d’art de l’homme d’affaires et philanthrope Pierre Lassonde, présentée dans l'exposition Passion privée, est le fruit de l’exercice de l’œil averti du collectionneur, qui avance patiemment, ne voulant acquérir que ce qu’il y a de mieux. S’en dégage également un amour pour le paysage, et plus particulièrement pour les scènes d’hiver, cette saison qui définit véritablement le Québec.

Nous souhaitions aborder ce sujet du paysage hivernal dans une série de billets de blogue décrivant près d'une vingtaine d'œuvres présentées en salle d’exposition.

Pour cet article, Sarah Mainguy, détentrice d'une maîtrise en histoire de l'art de l'UQAM, décrit Pêche sur glace, collines de la Gatineau de Franklin Brownell.

Franklin Brownell, Pêche sur glace, collines de la Gatineau
Franklin Brownell, Pêche sur glace, collines de la Gatineau, 1915. Huile sur toile, 61,6 x 76,83 cm. Collection Pierre Lassonde.

 

Reconnu et apprécié de son vivant par ses collègues et par le milieu de l’art comme un artiste modéré, soit « ni conservateur à la manière des traditions des vieilles écoles ni audacieusement moderne suivant la méthode des jeunes peintres », Peleg Franklin Brownell a joué un rôle de transition dans l’histoire de la peinture au Canada, à une époque où l’on apprivoisait tranquillement l’impressionnisme. À l’instar de nombreux autres peintres nord-américains qui ont été formés à Paris à la fin du xixe siècle selon la tradition académique (pensons, par exemple, à Maurice Cullen), il transformera sa manière de peindre en explorant certaines stratégies impressionnistes, mais ne se convertira jamais complètement à ce style qui bousculait les principes mêmes de sa formation.

La toile Pêche sur glace, collines de Gatineau témoigne de la timide ouverture à l’impressionnisme de ce peintre qui, par ses compromis, contribua néanmoins à faciliter l’acceptation de cette « nouvelle peinture » au pays. La palette très claire que lui impose le sujet hivernal le rapproche en effet des impressionnistes, mais les teintes plus ternes utilisées pour rendre les personnages et les chevaux trahissent tout de même une certaine retenue à cet égard. Brownell n’aura d’ailleurs jamais recours au divisionnisme. Comme l’écrit Robert Stacey, « Brownell trouve les modulations tachistes de [l’impressionnisme] inadéquates à la tâche de rendre l’intensité fulgurante de la lumière canadienne ». Qui plus est, il tient trop à maintenir une structure solide dans ses oeuvres pour s’abandonner à la touche vibrante des impressionnistes. Cela ne l’empêche pas de démontrer à l’occasion plus de souplesse et de liberté dans son coup de pinceau4, mais dans Pêche sur glace, collines de Gatineau, sa touche demeure précise et contrôlée, même lorsqu’il joue avec des effets de texture dans la neige. Quant à la composition, le naturel de la scène contraste fortement avec les poses formelles et figées souvent associées aux personnages des tableaux académiques. L’action paraît captée sur le vif ; les hommes, vus de dos, semblent s’apprêter à quitter les lieux, sinon venir tout juste d’arriver. Le sujet évoqué par le titre – la pêche sur la glace – n’est pas représenté directement dans le tableau, qui ne comporte aucun des accessoires typiques de cette activité traditionnelle, l’artiste mettant plutôt l’accent sur la banalité et le pittoresque du quotidien.

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