Fernand Leduc
TOUTE UNE SALLE POUR LEDUC
Paul Bourassa, commissaire de l'exposition "Fernand Leduc. Peintre de lumière" et directeur des collections et de la recherche au MNBAQ, raconte l'évolution de l'oeuvre de l'artiste, passant de l’expressionnisme non figuratif à l’art abstrait.
Fernand Leduc, décédé le 28 janvier dernier à l'âge de 97 ans, a été partie prenante des grands mouvements artistiques qui ont façonné l’histoire de l’art du Québec. Signataire du Refus global aux côtés de Paul-Émile Borduas, il est l’auteur du dernier texte de ce manifeste qui fait date, Qu’on le veuille ou non, prônant « l’avènement prochain d’une civilisation nouvelle qui se justifiera par le désir sauvage, s’édifiera dans l’amour retrouvé, s’épanouira dans le vertige qui provoque l’ivresse. »
Leduc est perçu comme le théoricien, l’intellectuel du groupe, qui gravite alors autour de Borduas. Pour cause, sa formation chez les pères Maristes, ses lectures et une prédisposition à débattre des idées qui ont alors cours au sortir de la Guerre, en font sans doute celui qui a le plus écrit sur le surréalisme et l’automatisme au Québec à la fin des années 1940, alors qu’il est installé à Montréal, puis à Paris, à compter de 1947.
S’il préconise, aux côtés de Borduas, une forme de révolte jusqu’à la publication du manifeste, il en arrive vite à l’idée de dépassement et recherche « un point de vue supérieur ». Spiritualité, ésotérisme, métaphysique et philosophie gnostique viennent alors modifier son approche. À l’anarchie et à la révolution, il propose plutôt la hiérarchie et l’évolution (dans l’harmonie). La rupture avec Borduas est consommée en 1955, mais Leduc gardera toujours une admiration profonde pour celui qui aura été son premier guide.
L’évolution que Leduc met de l’avant dans ses textes se traduit dans son œuvre par le passage « de l’expressionnisme non figuratif à l’art abstrait » : les formes s’organisent, se géométrisent et ne réfèrent plus à des structures organiques, ne sont plus des signes qui se détachent d’un fond aux allures de marines ou de ciels… Les couleurs saturées, contrastées et structurées en formes anguleuses sont alors en tension dans un espace parfaitement bidimensionnel. Et graduellement, c’est la lumière émanant du tableau lui-même qui devient l’objet de recherche de l’artiste. Déjà, en 1943, Leduc l’avait pressenti en parlant du travail de Borduas : « En peinture, il y les créateurs : ceux qui construisent, qui ordonnent par le dedans, dans le sens de la vie. Eux seuls sont peintres. » À compter des années 1960, avec les Passages, les Érosions et les Chromatismes binaires, Leduc cherche par la juxtaposition de deux couleurs, quelquefois trois ou quatre, à exalter cette lumière. Puis, il en viendra à vouloir oblitérer le choc de leur rencontre. Il camoufle alors les formes sous-jacentes sous de multiples couches colorées, telles des laques, et obtient une surface presque monochrome, mais sous laquelle se perçoivent les pulsations des différentes tonalités utilisées : ce sont les microchromies.
Depuis les années 1970, l’artiste n’a de cesse de chercher cette lumière, de la rendre visible par la couleur, quelquefois par modulation au sein d’ensembles comme le monumental Gris puissance6 composé de 36 panneaux, comprenant six variations de gris violacés, bleutés, verdâtres, jaunâtres, orangés et rougeâtres obtenus par « l’emploi de tonalités complémentaires par transparence et non par mélange, sans apport de blanc ni de noir ». Non pas un simple jeu, mais une ascèse de la couleur et de la lumière, variations harmoniques en mode mineur autour du degré zéro de la peinture, le gris parfait, « point central neutre, aux tons purs, à la nuit complète et au jour éclatant! »
Cette transcription de la lumière est toujours inspirée de la nature ou d’une rencontre… lumineuse. Viva Canaletto, suite et fin est l’œuvre ultime d’une série qui comprend aussi une trentaine de pastels qui sont autant de variations sur le jaune inspirées d’un tableau de la place Saint-Marc de Canaletto, que Leduc a pu contempler aux Offices à Florence, une représentation « dorée comme la lumière de Venise ». Le triptyque à l’acrylique est la somme de ce travail, le point d’orgue d’une quête incessante « vers les îles de lumière » dont il espérait trouver la route dès 1942, comme il l’écrit à son ami Paul-Émile Borduas dans l’une de ses premières lettres.