Parlons rotations d'œuvres
Vous venez visiter les collections permanentes du MNBAQ régulièrement et remarquez que certaines œuvres ont été remplacées par d’autres?
Vous vous demandez pourquoi certaines pièces ne sont présentées que sur une relative courte période, alors que d’autres le sont pendant plusieurs années?
Vous vous imaginez que le changement d’une œuvre pour une autre se fait en « claquant des doigts »? Que le conservateur responsable d'une salle n’a qu’à se rendre dans les réserves, choisir une œuvre d'art qu’il aime sur un porte-tableau et la faire transporter en galerie pour son installation immédiate?
Oh non! Ce n’est pas si simple, et c'est tant mieux!
La rotation d’œuvres dans une salle dédiée aux collections du Musée représente en réalité une opération qui demande beaucoup de temps, de préparation et de ressources. Outre leur prêt à d’autres institutions qui demande leur retrait temporaire, les pièces devant être remplacées le sont en général pour des raisons de conservation préventive, comme celles comportant des éléments qui sont sensibles à la lumière : les papiers, les textiles ou toutes œuvres faites de matières organiques, comme le bois, ou la cire, par exemple.
Aussitôt qu’une œuvre photosensible est installée en salle, aussitôt son retrait est planifié, afin de respecter les normes muséologiques adoptées par le Musée.
La règle de base qui nous guide : pas plus de six mois d’exposition tous les cinq ans.
Des conditions exceptionnelles, comme le réglage de la luminosité par minuteurs ou détecteurs de mouvement, peuvent étendre leur durée d’exposition.
Les étapes de la rotation d'une oeuvre
D’abord, le conservateur doit choisir l’œuvre de remplacement. Il doit considérer l’espace à combler, et le contexte thématique de son exposition, de sorte que cette nouvelle œuvre s’insère de manière cohérente dans son lieu de présentation. Pour l’art contemporain, il s’agit de faire une sélection parmi près de 8000 œuvres.
Il faut ensuite valider sa disponibilité, s’assurer qu’elle ne soit pas réservée pour d’autres usages. Pour cela, le service du registrariat est requis. On élabore un bon de commande, qui est ensuite relégué à l’ensemble de l’équipe de la conservation.
Le restaurateur examine l’état de condition de l’œuvre. S’il est bon, elle passe à l’étape de sa préparation, c’est-à-dire son encadrement ou la production de son support de présentation par des techniciens en muséologie.
Des restaurations sont parfois nécessaires, et certaines exigent une plus grande attention, comme l’œuvre Engagement sponsorisé. Le Chant des signes et autres paroles (1998) de Jacky Georges Lafargue, nouvellement installée dans la salle dédiée à l’art actuel, qui aura nécessité les services de deux restaurateurs, et pas moins d’une centaine d’heures de travail pour polir chacun de sous qui composent la sculpture de quatre mètres de haut !
Si l’œuvre ne dispose pas d’une documentation photographique adéquate, le département de la photo voit à sa prise de vue, qui est ensuite insérée dans la base de données – un catalogue décrivant les particularités techniques et normalisées de chacune des œuvres de la collection.
Une équipe technique doit parfois élaborer un plan de montage pour les œuvres plus complexes à installer, pouvant nécessiter plusieurs scénarios et un soutient des artistes qui les ont conçues.
Vient enfin l’organisation de la logistique de la rotation. Choisir le moment où l’ensemble des équipes sera mobilisé pour retirer l’œuvre à remplacer, régir le déplacement de la nouvelle œuvre en prévenance des réserves vers la galerie, la préparation de son espace d’accueil (réparer et repeindre le mur), la fermeture d’une portion de la salle si nécessaire, l’installation de sa remplaçante et son éclairage.
Souvent, comme dans la salle dédiée aux œuvres sur papier de la collection d’art contemporain, l’opération implique plusieurs œuvres et devient similaire au montage d’une nouvelle exposition. De nouveaux textes et de nouveaux cartels explicatifs doivent être rédigés, révisés, traduits, et faire l’objet d’un design graphique.
Un travail d'équipe(s)
Le tout se déroule en général sous plusieurs mois et nécessite plusieurs équipes de tous les secteurs du Musée. Outre ceux de la conservation et des expositions, la médiation est aussi concernée, puisqu’elle doit repenser ses parcours de visites en fonction des nouvelles œuvres.
Le secteur des communications est également sollicité, afin de promouvoir le nouvel accrochage, et ainsi faire briller le travail de dizaines d’employés du Musée, tous mobilisés pour garantir la conservation des œuvres à longs termes, en plus d’offrir aux visiteurs de nouvelles pièces de la collection à contempler.
J’adore initier des rotations dans les salles d’exposition! Il s’agit, pour la conservatrice que je suis, d’un terrain de jeu qui me permet de sortir des œuvres de l’ombre, ou d'offrir à d’autres plus connues l’opportunité de s’exprimer autrement.
Je vous invite donc à être attentif aux nouveaux accrochages, ils sont le fruit d’une collaboration inouïe entre l’ensemble des employés Musée, tous aussi passionnés d’une étape à l’autre!
1 Commentaire
Merci pour cette explication. Vraiment instructif et agréable.
Sylvain St-Pierre