Qui est Evergon ?
Le MNBAQ est fier d’offrir la première rétrospective complète des œuvres d’Evergon, photographe majeur au Canada. Cumulant 50 années de carrière et, dit-on, plus de 1000 expositions personnelles et collectives, c’est une figure qui nous apparaissait incontournable au sein de notre programmation. Mais si son nom ne vous dit rien, prenez quelques minutes pour faire connaissance avec l’artiste dans cet article.
Evergon, de son vrai nom Albert Jay Lunt, est né en 1946 à Niagara Falls, en Ontario, et s’est établi au Québec il y a plus de 20 ans. Reconnu pour sa contribution singulière à l’art contemporain québécois et canadien, il s’est illustré dans la photographie mise en scène et fait figure de pionnier dans plusieurs domaines.
L’artiste a su frapper l’imagination du public par l’exploration de technologies et de pratiques alternatives de la photographie, notamment avec ses photocollages et ses images réalisées à la photocopieuse dans les années 1970, puis avec ses polaroïds géants, sensuels et colorés, souvent de plus de deux mètres de hauteur. Vous avez bien lu, des polaroïds de deux mètres de haut!
La fabrique de soi
Evergon, qui a adopté ce surnom en 1975, maîtrise sa propre mise en scène et s’est illustré sous plusieurs noms d’artiste durant sa carrière. Des pseudonymes, comme autant d’alter-egos artistiques lui permettant les explorations esthétiques. Il a ainsi été tour à tour Celluloso Evergonni, Eve R. Gonzales, Egon Brut et, plus récemment, Chromogenic Curmudgeons (les grincheux chromogènes), en duo avec l’artiste québécois Jean-Jacques Ringuette.
Les nombreux autoportraits du photographe montrent qu’il s’est inventé pour lui-même une image riche, dans une découverte perpétuelle de soi. Faisant de son intimité un élément central de ses œuvres, il a fait de sa vie une œuvre.
Esthétique baroque
Evergon est une force créatrice immense : l’identité, la diversité corporelle, l’amour, le désir, le vieillissement sont au cœur de son travail. Il fut un militant de la première heure des droits des personnes gaies. Très tôt dans sa carrière, il a porté haut et fort la voix d’une culture homosexuelle reléguée à l’invisibilité, par l’expression d’une masculinité différente des stéréotypes habituels définis par les conventions.
La nudité et la sexualité sont abordées de manière directe dans ses photographies. Elles révèlent un monde de fantaisies et de fantasmes qui puisent dans la fiction, la mythologie et la grande peinture baroque. Ses clins d’œil à la peinture sont d’ailleurs nombreux et Van Eyck, Goya, Klimt ou Hans Holbein ont ouvertement inspiré les mises en scène de l’artiste.
Evergon compterait plus de 1000 expositions solos et collectives à son actif, réalisées alors qu’il menait en parallèle une carrière de professeur. Il a longuement enseigné la photographie à l’Université d’Ottawa et à l’Université Concordia, à Montréal et compte parmi ses anciens élèves Jacynthe Carrier, Vicky Sabourin, Lorna Bauer ou JJ Levine, tous présents dans la collection du MNBAQ.
Vous connaissez à présent un peu mieux Evergon, le photographe pour qui les œuvres sont des lettres d’amour, adressées à ses collaborateurs, amants, amoureux et modèles, à sa mère Margaret, ainsi qu’à toute personne qui regarde.
Sur les murs du MNBAQ, c’est désormais à vous qu’elles s’adressent.
Evergon. Théâtres de l’intime. À voir du 20 octobre 2022 au 23 avril 2023 au MNBAQ.
Chronologie
1946
Evergon (Albert Jay Lunt) naît à Niagara Falls, en Ontario.
1969
Il commence ses études au baccalauréat en arts visuels à l’Université Mount Allison, à Sackville, au Nouveau-Brunswick. Il fréquente le Rochester Institute of Technology (RIT) à Rochester, dans l’État de New York, où il découvre la photographie. Il achète son premier appareil photo.
1970
Il entame une maîtrise en arts photographiques au RIT grâce à l’obtention d’une bourse. Il présente sa première exposition solo professionnelle, Crucifixion Series, au Confederation Centre of the Arts, à Charlottetown, à l’Île‑du‑Prince‑Édouard.
1972
Sa première exposition de groupe, Photo Media, est présentée au Museum of Contemporary Crafts, à New York.
1973
Le Musée des beaux-arts du Canada acquiert les premiers collages d’Evergon, tirés d’une série entamée en 1971.
1974
Il obtient sa maîtrise en arts du RIT. Il entame sa carrière en enseignement de la photographie au département d’arts plastiques de l’Université d’Ottawa.
1975
Evergon, son hétéronyme principal, apparaît pour la première fois. Premières expérimentations avec la photocopieuse (ou Xerox, ou encore copieur électrostatique couleur) à l’Université Carleton, à Ottawa.
1980
Première exposition solo importante aux États-Unis, Xerox Works by Evergon, chez Sandstone Graphics, à Rochester.
1981
Premières expérimentations avec l’appareil photo Polaroid SX-70, qui donnent lieu à la série Interlocking Polaroids.
1984
Il crée des polaroïds grand format (40 × 80 po) à l’aide d’un appareil photo unique en son genre, conservé au Musée des beaux-arts de Boston. Evergon est l’un des rares artistes à être invité à se servir de l’appareil.
1987
Il remporte le prix Victor-Martyn-Lynch-Staunton du Conseil des arts du Canada pour son exploration novatrice de la technique du polaroïd.
1988
Sa première rétrospective au Musée des beaux-arts du Canada couvre la période 1971-1987.
1989
L’exposition Evergon, 1971-1987 est présentée à la Mendel Art Gallery, à Saskatoon. Le Dr Terrance Goudy, animateur de pastorale à la Society of Christian Counselling, la pourfend pour « promotion de l’homosexualité et du sadomasochisme », provoquant une controverse.
1990
Il crée ses premières œuvres en hologramme à la suite d’une résidence de huit mois à Rome. Il remporte le Prix Petro-Canada en arts médiatiques pour la qualité artistique et la prouesse technique caractérisant ses œuvres holographiques.
1991
Il expose au sein de La photographie en miettes au Centre Pompidou, à Paris, aux côtés d’artistes contemporains renommés comme Christian Boltanski, Annette Messager et Arnulf Rainer.
1992
Il remporte le Senior Photography Award, décerné par le Conseil des arts de l’Ontario, pour les séries Ramboy Portraits et Dual Environments.
1998
Sa centième exposition solo, Evergon: An Aesthetic of the Perverse, est présentée à l’ACP.
2000
Il commence à enseigner au département de photographie de l’Université Concordia, à Montréal. Mort de Roberto Pane (Bobo), son amant.
2013
Mort de sa mère Margaret, qui vivait avec lui depuis six ans.
2014
Il collabore avec le photographe Jean-Jacques Ringuette (né en 1961). Ensemble, ils adoptent l’identité des Chromogenic Curmudgeons (grincheux chromogènes). Evergon et Ringuette créent encore sous ce nom aujourd’hui.
2015
Il prend sa retraite de l’Université Concordia.
2016
Il est en lice pour le Prix de photographie Banque Scotia.
Evergon, Crossing the Equator Going South Pacific Rim, 2009. Impression numérique à partir d'un négatif couleur. 4 x 5, 127 x 101,6 cm. Collection de Jocelyn Aumont. © Evergon
4 Commentaires
Je ne connaissais pas cet artiste.J’irai certainement apprécier ses œuvres chez vous
Gilles ouelletteÀ voir! Fascinant!
Odette DufourVotre présentation me rend ma prochaine visite encore plus intéressante.
Renée VillemureJ'avais cessé de visiter les expositions d'art visuel depuis quelques années; fatigué des redites et du spectaculaire à deux sous. Aujourd'hui une visite de l'exposition rétrospective d'Evergon m'a "recrinqué" la bonne humeur et redonner le goût du travail. Merci pour ça, mais surtout pour votre humour et pour le soin apporté à la création de vos images.
Raymond Carles