#MuseumWeek 2017 Jour 4: les histoires

Sur le Web par Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l'art moderne, MNBAQ
22 juin 2017

À l'occasion de la #MuseumWeek jour 4 et de la thématique #storiesMW, Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l'art moderne au MNBAQ, raconte la fascinante histoire de Madeleine Laliberté.

MADELEINE LALIBERTÉ

Texte: Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l'art moderne au MNBAQ.

Née en 1912 à Victoriaville, Madeleine Laliberté déménage à Québec avec sa famille 20 ans plus tard. Elle entame alors des études à l’École des beaux-arts de Québec, où Jean Paul Lemieux, entre autres, lui enseigne. À la fin des années 1930, elle quitte Québec pour la France et fréquente l’atelier de Marcel Gromaire, avant de séjourner au Mexique, en 1940.

Durant les 6 mois qu’elle passe dans ce pays d’Amérique centrale, elle aurait parfait ses connaissances artistiques auprès de Diego Rivera. De 1942 à 1944, elle est à New York où elle poursuit sa formation auprès d’Amédée Ozenfant. D’après Marie Lapointe, professeure retraitée en histoire à l’Université Laval et nièce de l’artiste, Laliberté affichait une grande candeur, en plus de tendances schizoïdes, si bien qu’elle aurait trouvé parfaitement convenable, à son arrivée dans la ville américaine, de cogner à la porte de Peggy Guggenheim pour solliciter ses conseils afin de trouver un professeur.

Au Québec, Madeleine Laliberté fréquentait les Jean Paul Lemieux, Jean Palardy et Jori Smith, Jean Soucy, Benoît East ainsi qu'Alfred Pellan. Elle aurait séjourné à de multiples reprises dans Charlevoix, entre autres à Port-au-Persil. Évidemment, un tel réseau était fécond pour stimuler des influences, chaque artiste partageant sa nouvelle production avec ses amis. Dans les années 1930 et au début des années 1940, la production de Madeleine Laliberté affiche un certain primitivisme dans l’usage des couleurs vives et des traits larges, tendance stylistique très présente dans son cercle social. Plusieurs de ses comparses ont pour leitmotiv la représentation de sujets du terroir dans un style très moderniste, approche témoignant d’une volonté de réconcilier un attrait pour les modes de vie traditionnels considérés comme sur le point de disparaître avec une prédilection pour les enseignements de la modernité artistique. Le rendu de ses œuvres semble le plus souvent apparenté au Groupe des Sept, par exemple, mais avec un souci réel de représentation anthropologique. Ce ne sont pas des territoires sauvages inhabités qui sont peints, plutôt les mœurs traditionnelles et les physionomies des habitants d’un territoire sauvage, rendant hommage à la population charlevoisienne qui affronte la dureté du climat et de la géographie avec débrouillardise et résilience.

C’est dans ce cadre singulier que Madeleine Laliberté produit, en 1947, un tableau étonnant : Paysage de la Petite-Rivière-Saint-François. De grande dimension, 61,3 x 157,8 cm, le paysage se déploie dans un format panoramique, en strates de couleurs épurées. Une rangée d’arbres stylisés scinde la composition en deux, en haut, le littoral accidenté de Charlevoix est accentué par la succession de couleurs complémentaires, rouge et verdâtre, tandis qu’au bas, un chemin rouge sépare le boisé d’un champ où s’ébattent des dindes noires. Plusieurs éléments de cette composition ne sont pas sans résonnances avec les œuvres de Jean Paul Lemieux dites, de sa période classique : le format panoramique, l’horizon incliné, le chemin qui ne mène nulle part, la stylisation des formes en masses de couleurs aux contours linéaires. À un détail près : cette période classique débute véritablement en 1955, avec son œuvre Far West, tandis que l’on décèle certains éléments stylistiques de cette période dans l’œuvre Les Ursulines de 1951. L’œuvre de Laliberté est de 1947.

L’intérêt de Lemieux pour l’art mexicain et américain, en particulier l’art de la fresque, est bien documenté. Dans un article publié dans le journal montréalais Le Jour, il écrit : « (a)-t-on un Diego Rivera, un [José Clemente] Orozco, un [Thomas Hart] Benton, un Grant Wood pour ne nommer que quelques-uns des principaux peintres mexicains et américains? [...] Nous avons Suzor-Coté et Clarence Gagnon, mais ces peintres sont surtout des paysagistes. [...] Leur peinture est esclave du sujet traité. Ils n’en dérogent pas pour se permettre une interprétation plus osée, une vision plus synthétique, une recherche plus profonde de l’essence même des choses . » Il est fort possible que cette perception enthousiaste de l’art mexicain et américain ait pu influencer Laliberté à séjourner au Mexique et aux États-Unis. Il est aussi fort probable qu’elle soit devenue une interlocutrice de choix pour Lemieux à son retour de voyage. Ayant eu l’opportunité d’approfondir sa connaissance de la peinture mexicaine et américaine in situ, et visiblement elle-même influencée par celle-ci dans ses œuvres ultérieures, Laliberté pouvait assurément conforter Lemieux dans ses perceptions.

De 1947 à 1951, Lemieux demeure en retrait de la vie artistique, si bien que l’on a longtemps cru qu’il avait cessé de peindre. Il s’avère qu’il traversait plutôt une phase exploratoire de sa carrière. De nombreuses pochades de Charlevoix et autres esquisses de cette époque témoignent d’une recherche de stylisation et de simplification . Incidemment, 1947 est une année féconde dans la production de Laliberté et cette production témoigne aussi d’un effort de stylisation et de simplification. Bien sûr, cette influence possible de Laliberté sur Lemieux reste hypothétique (et est-il nécessaire de souligner que l’histoire de l’art a toujours plus de facilitée à établir l’influence d’un homme sur une femme que son contraire...) Néanmoins, certains rebondissements récents me font cependant penser qu’il s’agit d’une hypothèse féconde. C’est d’abord Marie Lapointe qui documente la carrière de sa « tante Madeleine » qui me mit sur cette piste, en m’apprenant que Jean Paul Lemieux affectionnait tout particulièrement Paysage de la Petite-Rivière-Saint-François. Et ensuite, ma collègue Nathalie Thibault, archiviste du MNBAQ, qui dénicha une photographie fort parlante de Lemieux et Laliberté, mains jointes, posant tout sourire devant le tableau. 

Pour le reste de l’histoire et de la trajectoire fascinante de Madeleine Laliberté, il vous faudra patienter encore un peu! Nous poursuivons nos recherches...

Informations supplémentaires:

Fonds d'archives Madeleine Laliberté

Madeleine Laliberté dans la collection du MNBAQ

Crédits:

Madeleine Laliberté, Paysage de la Petite-Rivière-Saint-François, 1947. Huile sur toile, 61,3 x 157,8 cm. Collection MNBAQ.

Madeleine Laliberté et Jean Paul Lemieux, MNBAQ, Fonds Madeleine Laliberté (P26).

4 Commentaires

J'ai adoré. Par contre, le passage où Madame Lapointe parle d'un "trouble" schizoïde" est un peu fort... On aurait écrit ça d’un homme qui couche avec Peggy Guggenheim et qui profite de sa fortune, de son réseau, etc., pour mousser sa carrière ? (entendre ici Jackson Pollock).

Michaël Lachance

Je suis très fier de tante Madeleine!! Elle a fait beaucoup pour moi lorsque j'étais petit et je n'ai jamais compris pourquoi elle n'avait pas plus de reconnaissance. Son talent est évident et son histoire tout-à-fait fascinante et romancée! Je suis le fils de Marie Lapointe. Madeleine était donc ma grande tante. BRAVO et bien hâte de voir la suite! René-Pierre Lavoie

René-Pierre Lavoie

M. Lachance peut être rassuré. J'ai un très grand respect pour ma tante, et je trouvais cet épisode un peu cocasse. Inutile de monter cela en épingle. Par ailleurs, les schizoides font parfois des choses étonnantes, et qui font rêver. Soyons cool.

Marie Lapointe

Soyez rassuré M. Lachance; aucun rapport entre tante Madeleine et Jackson Pollock. J'ai toujours eu beaucoup de respect et d'admiration pour ma tante. Les artistes qui affichent des tendances schizoides peuvent produire des oeuvres à faire rêver.L'épisode Guggenheim est cocasse voila tout.

Marie Lapointe

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