Le fabuleux destin de quatre tableaux de la Montérégie

Petite histoire (de l'art) par MNBAQ
25 avril 2017

Le MNBAQ présente du 15 juin au 4 septembre 2017 l’exposition Le fabuleux destin des tableaux des abbés Desjardins organisée en partenariat avec le Musée des beaux-arts de Rennes, en France, pour souligner le bicentenaire de l’arrivée au Canada des tableaux Desjardins.

Parmi les impressionnants tableaux qui seront présentés, plusieurs œuvres de la Montérégie, dont quatre en provenance de l’église Saint-Denis-sur-Richelieu: La Sainte Famille à Nazareth, La Déploration, La Fuite en Égypte et Les Anges et les bergers adorant l’Enfant Jésus.

Parmi ces tableaux majeurs d’artistes de l’École française du 17e siècle décrochés aujourd’hui se trouve La Sainte Famille à Nazareth, qui fait partie d’un cycle de quatre tableaux consacrés à l’enfance du Christ, dont la redécouverte impressionne les spécialistes de l’art français.

Ces œuvres feront d’abord le voyage jusqu’à Québec pour être présentées dans l’exposition estivale du MNBAQ qui comprendra près de 70 tableaux. Par la suite, trois de ces chefs-d’œuvre partiront pour Rennes, en France.

quatre tableaux d'exception

La Sainte Famille à Nazareth

Deux tableaux, aujourd’hui visibles à Saint-Denis-sur-Richelieu et à Saint-Antoine-de-Tilly, arrivent à Québec dans le premier envoi de l’abbé Desjardins en 1817 et portent tous deux à cette date une attribution à Aubin Vouet, frère de Simon. Par la proximité de leurs sujets, de leurs formats et de leur style, ces deux œuvres formaient des éléments d’un même cycle consacré à l'enfance du Christ et ont été dispersées à la Révolution. Il est possible aujourd’hui de compléter cet ensemble en y associant deux autres peintures restées en France. La première se trouve depuis le début du 19e siècle sur l’un des autels de l’église Saint-Thomas-d’Aquin à Paris. La seconde est conservée à l’église Saint-Martin de Verneuil-en-Halatte, en Picardie, où elle a été placée également au 19e siècle.

Les quatre tableaux évoquent l’enfance de Jésus. Dans le tableau de Saint-Denis-sur-Richelieu, c’est le jardinage qui occupe la Sainte Famille. L’Enfant, qui cueille des roses,  y est accompagné de deux anges. À Saint-Antoine-de-Tilly, la Vierge filant avec une quenouille observe son fils et Joseph qui scient un tronc de bois. Le tableau de Verneuil-en-Halatte illustre une scène de construction et enfin celui de Saint-Thomas-d’Aquin montre un moment de lecture alors que cette fois, Joseph au repos observe Jésus et la Vierge. Les diverses occupations ainsi que les matériaux et objets qui interviennent dans les scènes (fleurs, éléments en bois, livre…) sont certainement des évocations du sacrifice à venir de l’Enfant.

La Déploration

Faisant partie du premier envoi  de l’abbé en 1817, l’œuvre a révélé sur le revers de sa toile d’origine le numéro 100. Ce chiffre permet de corriger une erreur qui remonte à la correspondance de Louis Joseph Desjardins où ce dernier, dans une lettre du 1er janvier 1818, confond cette toile avec la Mise au  tombeau de Jean Jacques Lagrenée qui portait le numéro 57 de la liste établie par Philippe Desjardins.

Morisset en 1935 et Richard en 1939 ont rattaché cette œuvre à l’école flamande en raison de sa facture lisse et de ses contours linéaires. Les noms de Peter Van Mol (1599-1650), Hendrick Bloemaert (1601-1672) et Adam de Bruyn ont été cités. Comme Laurier Lacroix, professeur émérite et auteur d’une thèse de doctorat sur les tableaux Desjardins en 1998, les spécialistes pensent que la composition revient bien à un artiste français sans doute dans l’entourage de Jacques Stella. Elle mêle des qualités et des faiblesses qui rendent pour l’heure son attribution peu aisée.

La Fuite en Égypte

Cette Fuite en Égypte, dont l’auteur demeure anonyme, fait aujourd’hui pendant, dans l’église de Saint-Denis-sur-Richelieu, à une œuvre représentant L’Adoration des bergers. Tout comme pour son « pendant » qui, lui, semble se rapprocher du style d’un Noël Coypel ou d’un François Verdier, il est difficile d’identifier l’auteur de cette toile. Le tableau, arrivé à Québec dans le premier envoi de l’abbé Desjardins, y portait une attribution à Hyacinthe Collin de Vermont (1693-1761). Or, le style de l’œuvre, qui se situe entre la fin du 17e et le début du 18e siècle, ne permet pas de conserver cette identification avec un artiste actif bien plus tard.

La touche lisse aux modelés prononcés, les figures de grande taille qui occupent tout l’espace de la composition, les trois personnages réunis en un groupe, les attitudes affectées un peu théâtrales, la figure de l’ange de dos qui occupe le premier plan, ainsi que l’attention donnée à la description des drapés, ou les physionomies poupines de la Vierge et des putti, ramènent aux exemples classiques italiens revisités par les peintres français de la seconde partie du 17e siècle. Les traits des personnages ou encore les drapés peuvent être rapprochés de la production française de la fin du 17e siècle et du début du 18e siècle, comme notamment du style d’artistes tels Simon Guillebaud (1638-1708) ou, dans une certaine mesure, Nicolas Colombel (1644-1717), à qui l’on doit de nombreux tableaux religieux dans une veine classique qui portent loin dans le siècle la manière de Poussin. La présentation de cette œuvre jamais reproduite jusqu’ici permettra probablement d’avancer sur l’identification de son auteur.

Les Anges et les bergers adorant l’Enfant Jésus

Apportée à Québec sous le nom d’Antoine Coypel et acquise en 1817 par l’abbé Jean-Baptiste Kelly pour la fabrique de la paroisse de Saint-Denis-sur-Richelieu, cette Nativité est aujourd’hui présentée en pendant avec une Fuite en Égypte. Les deux peintures portaient des attributions désormais erronées. L’une était donnée à Collin de Vermont et celle étudiée ici à Antoine Coypel. Ce dernier, dont le corpus a bénéficié d’un catalogue raisonné établi par Nicole Garnier en 1989 et qui a fait l’objet de nombreuses découvertes depuis cette publication, ne peut plus du tout être associé à notre tableau.

Sans pouvoir lui rendre une paternité précise, il est possible de le situer parmi les peintres parisiens actifs à la fin du 17e siècle. La disposition d’ensemble laisse deviner une formation à l’ombre de Le Brun, mais également une éventuelle connaissance des œuvres de Jean Jouvenet dont la trace est de surcroît visible dans le coloris et l’usage du clair-obscur. Nous sommes probablement ici dans les années 1690-1700 autour d’un François Verdier ou d’un René Antoine Houasse. C’est d’ailleurs à Verdier que la composition peut faire penser au premier coup d’œil.

Crédits:

Anonyme, peintre de l’entourage de Simon Vouet (Paris (France), 1590 - Paris (France), 1649), La Sainte Famille à Nazareth, (vers 1640).Huile sur toile, 224 x 145 cm. Saint-Denis-sur-Richelieu, Fabrique Saint-Denis

Anonyme, artiste français de l’entourage de Jacques Stella (Lyon (France), 1596 – Paris, (France), 1657), La Déploration, (vers 1640). Huile sur toile, 213.4 x 142.3 cm. Saint-Denis-sur-Richelieu, Fabrique Saint-Denis

Anonyme, école française, La Fuite en Égypte, Seconde moitié du 17e siècle ou copie du 18e d’après une œuvre du 17e siècle .Huile sur toile, 263 x 228 cm. Saint-Denis-sur-Richelieu, Fabrique Saint-Denis

Anonyme, peintre de l’entourage de François Verdier (Paris (France), vers 1651 – Paris (France), 1730), Les Anges et les bergers adorant l’Enfant Jésus, vers 1690-1700. Huile sur toile, 265 x 233.5 cm. Saint-Denis-sur-Richelieu, Fabrique Saint-Denis

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