Organisée et coproduite par Arthemisia Group (Italie) et le Musée national des beaux-arts du Québec, une importante rétrospective consacrée à Pierre Bonnard (1867-1947) – un maître incontesté de l’art moderne – présentée par Desjardins en exclusivité nord-américaine.
« IL NE S’AGIT PAS DE PEINDRE LA VIE, MAIS DE RENDRE VIVANTE LA PEINTURE. »
L'exposition
Largement reconnu pour l’originalité de ses compositions éclatantes et sa lumière d’une intensité incomparable, Pierre Bonnard (1867-1947) figure parmi les maîtres incontestés de la peinture moderne. Il a réalisé une œuvre exceptionnelle fondée sur un formidable lyrisme de la couleur, en privilégiant la représentation de ses proches et l’exploration de son environnement immédiat.
Organisée sous le commissariat de Jacqueline Munck, conservateur en chef du patrimoine au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, cette exposition regroupe une quarantaine de tableaux en provenance de diverses collections européennes et nord-américaines, accompagnés d’une large sélection d’estampes et de photographies.
Elle retrace le fascinant parcours de l’artiste, depuis les années 1890 jusqu’aux années 1940, en abordant successivement plusieurs thèmes : scènes de la vie parisienne, intérieurs domestiques, nus féminins, jardins et paysages de la Normandie ou de la Côte d’Azur, autoportraits d’une rare intensité. Le parcours invite le visiteur dans l’intimité de l’artiste en incluant notamment une longue séquence consacrée à sa compagne Marthe, qu’il représentera inlassablement durant près de 50 ans.
Se tenant volontairement à l’écart des grands bouleversements de l’art moderne, Bonnard propose une peinture élaborée sous le signe de la subjectivité et de la sensation. L’artiste exprime son obsession de « voir, voir vraiment » dans une peinture portée jusqu’à la rupture avec le visible ordinaire.
C’est ainsi qu’il occupe une position singulière dans l’histoire de l’art de la première moitié du 20e siècle, tantôt comme avenant à l’impressionnisme, tantôt comme jalon d’une tendance abstraite de la couleur qui s’ancre dans la figuration, tout en nous invitant à « regarder le monde non pas à travers les yeux du peintre mais ceux de la peinture » (Peter Doig).
Les thèmes de l'exposition
Paris, la rue, la vie
Peintre, graveur et illustrateur, Bonnard s’inscrit au cœur de la modernité parisienne des années 1890 et s’avère un observateur attentif de la vie urbaine. Membre du groupe d’avant-garde des Nabis (« prophètes » en hébreu), avec Maurice Denis, Paul Sérusier, Édouard Vuillard et plusieurs autres, il participe aussi au joyeux éclectisme de la Revue blanche, qui est largement ouverte aux nouvelles tendances et qui contribua à l’émergence de nombreux écrivains, musiciens et artistes.
Puisant ses thèmes dans le spectacle de la ville, avec une volonté affichée de dépasser l’impressionnisme et de renouveler en profondeur le langage pictural, Bonnard explore des sujets porteurs d’une actualité éminemment dynamique et mobile : l’omnibus, le marché et ses marchands ambulants, les passants sur un pont, les parisiennes se pressant sous la pluie, les jeux et les promenades.
Le jeune artiste connait par ailleurs un succès considérable en tant qu’affichiste. S’inspirant des avancées formelles des estampes japonaises, il élabore une syntaxe visuelle où lignes souples, couleurs en aplats et mises en pages saisissantes contribuent à créer une audacieuse stylisation décorative.
Scènes d’intérieur
À la fin des années 1890, Bonnard s’éloigne progressivement de l’esthétique nabie et réalise plusieurs compositions plus intimistes mettant en scène ses proches dans des intérieurs domestiques. Les êtres aimés, dont le peintre retient les attitudes familières, y baignent dans une lumière théâtrale. Les images révèlent des détails insoupçonnés, souvent invisibles à première vue, camouflés dans l’éclairage tamisé de la pièce. Ces intérieurs permettent par ailleurs à l’artiste de mettre en place un schéma de construction qui deviendra récurrent : une table en plongée, entourée de convives, devant un fond imprécis, sans plafond visible. Bonnard donne cependant à ces œuvres un caractère sévère et une palette relativement sombre, loin des efflorescences de la couleur qui enrichiront au fil des ans ses variations sur le même thème.
L’homme et la femme (nus dans l’atelier)
Bonnard rencontre Maria Boursin (qui se fait appeler Marthe) en 1893. Elle devient aussitôt sa compagne, et demeurera son modèle de prédilection durant toute sa vie.
Cette rencontre aura une importante capitale pour l’artiste, et des thèmes inédits apparaissent dans son œuvre, notamment de nombreux nus, souvent imprégnés d’une sensualité trouble.
Le peintre approche son modèle en gros plan, dans une relative indétermination spatiale, s’attachant davantage à rendre une atmosphère et un moment d’abandon. Il fait ainsi basculer la pose du modèle académique dans l’intimité du quotidien.
Le corps de Marthe deviendra un archétype irremplaçable et intemporel, Bonnard ne cessant jamais de la peindre telle une jeune femme, malgré le passage des ans.
Bonnard et la photographie
Entre 1897 et 1916, Bonnard réalisa environ 200 photographies avec un appareil Pocket Kodak, qui démocratise la pratique photographique et permet l’émergence de la photographie d’amateur. Bonnard n’a jamais considéré ces vues de tout petit format (3,8 × 5 cm) comme des œuvres à part entière. Plusieurs appartiennent d’ailleurs au registre familial et ont été réalisées de manière spontanée. C’est le cas notamment des nombreux clichés des enfants Terrasse, des instantanés qui témoignent des vacances d’été dans la propriété familiale du Grand-Lemps.
D’autres photographies semblent en revanche réalisées en vue d’une étude spécifique et manifestent un rapport direct avec des peintures et des œuvres graphiques réalisées au même moment. La série montrant Marthe nue sur le lit (1899-1900) et celle où Marthe et Bonnard apparaissent dans le jardin de Montval (1900-1901), par exemple, forment un répertoire de compositions et de gestes qui ont servi à l’artiste dans le cadre de ses recherches picturales. C’est ainsi que plusieurs « astuces » picturales de Bonnard semblent issues de la nouvelle perception de la réalité apportée par la photographie : dans ses natures mortes ou ses scènes d’intérieur, il utilisera abondamment le raccourci perspectif, le cadrage serré ou la vue plongeante.
Le dessin complice
Bonnard dessinera abondamment durant toute sa carrière. Ses dessins, rapidement esquissés au crayon dans de petits carnets, montrent que l’artiste avait l’habitude de « croquer » l’instant sur le vif. Ces premières impressions – vaste inventaire de formes et de motifs – pouvaient par la suite donner forme à une peinture. Renversant la théorie de l’art classique, Bonnard considère la couleur comme étant du domaine de la raison, alors que le dessin reste attaché à la sensation immédiate.
Marthe
Bonnard peindra Marthe sans relâche durant près de 50 ans, proposant d’infinies variations sur ce huis clos entre l’artiste et son modèle, à travers le décor familier et les activités du quotidien. Dans cet univers, Marthe reste omniprésente : elle déjeune, fait la sieste, joue avec le chien ou prend son bain.
Situées dans le cadre feutré d’un intérieur bourgeois, ces œuvres ne décrivent aucun fait remarquable, présentant des personnages silencieux aux expressions pensives, dans une atmosphère de rêverie. Bonnard travaille d’ailleurs de mémoire, jamais sur le motif, et ses œuvres décrivent un espace affectif, qui associe indistinctement souvenirs et sensations. Les rituels de la vie quotidienne nous sont rendus familiers dans un hors temps mélancolique qui est aussi la signature du peintre.
Dialogues spatiaux : intérieurs et natures mortes
Les intérieurs de la période de maturité de Bonnard comptent parmi ses œuvres les plus intéressantes et créatives. Certains tableaux sont attachés à des lieux de villégiature du couple, mais la plupart renvoient à la maison de Vernon en Normandie, et plus tard à celle du Cannet sur la côte d’Azur.
En 1926, Bonnard et son épouse font l’acquisition de la villa « Le Bosquet », au Cannet. Dans cette atmosphère empreinte de sérénité, Bonnard réalise des tableaux d’un grand équilibre, où domine le thème des intérieurs à la fenêtre. Les scènes de déjeuner dans la salle à manger se multiplient, le peintre créant des séquences quasi cinématographiques, sans souci de réalisme ni de chronologie. Avec un extraordinaire sens de l’observation, Bonnard, « voyageur autour de sa maison » (Maurice Denis), crée des tableaux d’une étonnante complexité spatiale, déjouant les habitudes de la vision et sollicitant le regard attentif du spectateur.
Intégrant le plus souvent une fenêtre, une porte ou d’autres ouvertures, ces intérieurs s’ouvrent sur la terrasse, le jardin ou le paysage dans le lointain. De même, plusieurs œuvres comportent des miroirs, qui offrent un vaste éventail de possibilités spatiales, retournant les formes et brouillant les proportions. Différents espaces s’y combinent, abolissant les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, le dehors et le dedans, le proche et le lointain.
Paysages et rivages méditerranéens
En 1909, Bonnard découvre la vive lumière de la Méditerranée, et il y éprouve « un coup des Mille et Une Nuits » qui va affecter durablement son œuvre. Il finira par s’installer définitivement sur la côte d’Azur, dont les horizons l’enchantent et qui lui inspireront ses tableaux les plus lumineux.
Il y développe une interprétation lyrique de la nature dans des paysages à la végétation envahissante, et ses dernières années voient l’apogée d’une œuvre de plus en plus radicale, où les références au réel s’effacent progressivement. Oubliant aussi bien le ton local des objets que l’apparence usuelle des formes, Bonnard utilise une touche libre – les objets perdant graduellement la netteté de leurs contours – et il développe une palette d’une virtuosité étourdissante, privilégiant de subtils accords de couleurs sensuelles et effervescentes. Tout en restant constamment attentif aux êtres et aux choses, Bonnard y exploite au maximum les qualités expressives de la couleur, d’une couleur « qui agit », selon la belle formule que rappelait son neveu Antoine Terrasse.
Les paysages de la dernière période sont caractéristiques du cheminement du peintre vers une recherche d’absolu et une certaine abstraction. Anticipant les recherches des jeunes artistes d’après-guerre, Bonnard y offre une sorte d’intensification de la vision, aboutissant à une fabuleuse transfiguration du réel, transformé par une lumière d’une intensité éblouissante.
Autoportrait
Bonnard meurt en 1947. Deux ans plus tôt, il exécute trois autoportraits emblématiques où, immobile, sans un geste, il propose des images dépouillées et sans complaisance de lui-même. Dans ce tableau, l’artiste, le visage amaigri et les traits tendus, fixe la glace, mais les orbites aveugles semblent annoncer un futur sans avenir.
Repères biographiques
1867 Naissance de Pierre Bonnard le 3 octobre à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine).
1885-1888 Études de droit.
1887-1889 À l’Académie Julian, rencontre Paul Sérusier, Maurice Denis, Paul Ranson, avec lesquels il fonde en 1888 le groupe des Nabis. À l’École des beaux-arts, il fait la connaissance de Ker-Xavier Roussel et d’Édouard Vuillard.
1891 Première participation au Salon des indépendants. Il y exposera régulièrement.
1893 Rencontre Maria Boursin (1869-1942), qui se fait appeler Marthe, et qui devient son modèle et sa compagne.
1896 Première exposition personnelle, à la galerie Durand-Ruel à Paris.
1898 Peint des nus, des vues urbaines et des scènes intimistes sur un mode naturaliste. Réalise au Grand-Lemps – la maison familiale en Isère – une série de photographies de Marthe.
1900 Publication par Ambroise Vollard de Parallèlement, de Paul Verlaine, illustré par Bonnard.
1903 Participe à la Sécession de Vienne, à la Sécession de Berlin et au 1er Salon d’automne.
1910 Le collectionneur russe Ivan Morozov commande à Bonnard une décoration pour le grand escalier de sa demeure, le triptyque Méditerranée.
1912 Acquiert la villa « Ma Roulotte » à Vernonnet, en Normandie. Monet est son voisin.
1913 Expose à l’Armory Show à New York, puis à l’Art Institute de Chicago.
1917 En mai, participe à la 4e « mission des peintres aux armées » sur le front de la Somme.
1918 Peint une série de grands paysages à partir de terrasses. Bonnard et Renoir sont présidents d’honneur du groupement de la Jeune peinture française.
1919 François Fosca et Léon Werth publient deux études sur Bonnard.
1920 La santé de Marthe amène le couple à séjourner régulièrement dans des stations thermales.
1924 Rétrospective comprenant 68 tableaux à la galerie Druet, à Paris.
1925 Épouse Marthe. Commence sa fameuse série de Nus dans la baignoire.
1926 Acquiert la villa « Le Bosquet » au Cannet, sur la côte d’Azur. Membre du jury du prix Carnegie, il se rend à Pittsburgh, Philadelphie, Chicago, Washington – où il rencontre ses collectionneurs Duncan et Marjorie Phillips – et New York.
1928 Première grande exposition individuelle à New York, à la galerie De Hauke.
1934 Expose 44 peintures à la galerie Wildenstein de New York.
1935 Matisse rend régulièrement visite à Bonnard au Cannet.
1937 Présente 33 œuvres à l’exposition «Les maîtres de l’art indépendant, 1895-1937 » au Petit Palais, à Paris.
1938 L’Art Institute de Chicago présente une importante exposition consacrée à Bonnard et à Vuillard.
1939 Vend sa maison de Vernon et quitte Paris pour Le Cannet. Peint des paysages et des autoportraits.
1942 Décès de Marthe Bonnard le 26 janvier.
1947 Pierre Bonnard s’éteint au Cannet le 23 janvier. Le Musée de l’Orangerie lui consacre une exposition rétrospective. La revue Verve édite un numéro spécial, que Bonnard et Tériade avaient prévu dès 1941.
1948 Rétrospective au Museum of Modern Art de New York.
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